Le Yoga: outil de compensation ou réconciliation ultime ?

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Qui ne rêve pas de la pleine santé ? Aujourd’hui, la pleine santé est généralement considérée comme, tout au plus, passagère. Un moment de plénitude entre deux creux. Il faudrait, dit-on, vraiment avoir de la chance pour ne jamais tomber malade. Si un tel cas se présente, on envie le système de défense ultra-performant de cet individu hors norme. Notre vision de nous-mêmes est ancrée dans la fragilité, la vulnérabilité. Nul ne serait à l’abri des microbes omniprésentes, ni de la menace des « maladies graves ». Dans ce contexte, si on ose évoquer un état où, outre l’absence de la maladie et d’autres maux éventuels, la maladie n’est simplement pas possible, alors on passe pour un fou, ou au mieux, un doux rêveur.

Cependant, selon les Yoga Sutras de Patanjali, non seulement cet état est possible, mais il est notre état naturel. Nous sommes faits pour vivre dans cet état de pleine santé permanente.

La déconnexion en cause

La pleine santé s’atteint, nous explique Patanjali, lorsque toute notre matière vibre selon notre être profond, notre conscience. La maladie et le mal-être surviennent lorsqu’il y a déconnexion entre ces deux aspects de l’être humain, la matière et l’être profond.

Qu’est-ce qu’on entend par notre matière ? Nous avons tendance à désigner comme matériel seulement ce que l’on peut toucher, sentir, voir. Dans ce cas, notre matière serait uniquement notre corps physique, mais en yoga le terme « matière » signifie bien plus. Notre matière est composée de notre corps physique, certes, mais aussi de notre mental, nos pensées, et nos émotions.

Le choix du yogi

Selon Patanjali, notre être profond est éternel, pur, source de confort, et pure conscience. Cependant nous avons aussi un aspect temporaire, impur, qui est source d’inconfort et qui n’a pas de conscience : notre matière.

Cette matière impure, temporaire, source d’inconfort et dépourvue de conscience n’est pas faite pour se débrouiller toute seule. Elle est au service de notre pure conscience, ou elle l’est, en tout cas, chez l’être humain accompli, celui qu’on pourrait appeler « yogi ».

Cette personne chez qui la matière s’abandonne à l’être accède à une source de sagesse illimitée. Il n’y a plus de place chez elle pour la maladie, le doute, le mal-être, car toute sa matière vibre en fonction de la pure conscience, qui est éternelle et source de confort.

Hélas, la plupart d’entre nous ont une matière obstinée, un peu sauvage, et qui croit avoir mieux à faire que de se soumettre à son contraire, l’être. C’est la confusion totale entre celui qui est maître, notre être profond (« svamisakti » – sutra II.23) et celui qui pense être maître, notre matière (« svasvakti » – sutra II.23). Sur ce point Patanjali est catégorique : notre souffrance n’a pas d’autre cause, sutra II.24 tasya hetuh avidya, « cette confusion est la cause de toute souffrance ».

Une matière épuisée

Cette matière têtue qui prend son indépendance ne sait pas dans quelle aventure elle se lance. Vouée à elle-même, elle perd pied. L’être humain qui vit à travers une matière coupée de la conscience est comme un explorateur qui a perdu sa boussole. Il avance dans la vie, se repérant comme il peut. Il grappille des indications à droite et à gauche, s’agrippant à tout ce qui permettra sa survie. Il avance, mais sans direction, comme un enfant apeuré dans le noir. Il se repose totalement sur sa matière, qui, avec sa nature limitée, a rarement les réponses à ses questions. Coupée de la conscience, la matière s’épuise à jouer un rôle pour lequel elle n’est pas faite. La vie a perdu sons sens, et l’être humain passe en mode survie.

L’être humain épuise donc les ressources de sa matière, en se reposant uniquement sur elle pour savoir comment avancer, vers qui se tourner, où aller. Il n’est pas étonnant que cette matière finisse bien souvent malade, cassée, vidée, et à la fin, morte. Limitée, elle ne peut pas assumer le rôle de guide, de source de savoir, qui est en principe celui de la conscience.

Une invitation à écouter son coeur

Il n’est pas facile de s’abandonner à la conscience, qui a peu d’égard pour toutes les choses auxquelles notre matière s’attache. On peut être amenée à questionner nos relations familiales, amoureuses, ou amicales, nos choix professionnels ou nos croyances religieuses. Lorsqu’on n’est pas prêt à faire ce grand pas, à s’abandonner à la conscience pour entreprendre une « yoga thérapie » ultime, on peut avoir besoin d’une yoga thérapie de compensation. Tous les outils du yoga tels que les postures, la respiration, et la méditation peuvent alors être très utiles pour apaiser la souffrance de notre matière. Sans même faire le pas vers l’évolution de conscience, on peut déjà avoir des résultats thérapeutiques surprenants avec les postures bien adaptées, et une respiration bien maîtrisée. Je propose simplement de nous rappeler la raison d’être de ces outils. Le yoga ne se limite pas à des outils de compensation pour un contexte de vie inapproprié. Il peut bien évidemment être très utile et agréable de soulager la raideur de la nuque à la fin d’une journée stressante à l’aide d’une posture de yoga, ou d’utiliser la respiration pour s’endormir paisiblement le soir. Cependant la raison d’être de ces outils est d’une noblesse qui dépasse la simple compensation « thérapeutique ».

Postures, exercices respiratoires, méditation, chants, bandhas et autres outils du yoga permettent de calmer et maîtriser le corps, les émotions et le mental, d’apaiser le « bruit » intérieur. Avec sa matière ainsi apaisée, on peut être à l’écoute de son être profond, de sa « voix » intérieure, et avancer intuitivement. On basera alors ses choix de vie sur autre chose que la peur, les compromis et le besoin de sécurité. Dans cette dynamique, la matière vibre selon la conscience, et la maladie n’a plus sa place. C’est la « yoga thérapie » ultime : une invitation à écouter notre coeur, pour une réelle guérison individuelle et collective.

Article de Marc Beuvain – Juin 2011